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jazzOcentre
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13 janvier 2009

Mingus en colère dans Jazz mag en 1964

Je reprends dans les commentaires du billet "Tous sur Mingus : Oh Yeah !" cette interview de Jazz mag en 1964,  postée par Hamataï ( merci à lui ).

Parce qu'elle éclaire une partie de ce personnage que nous avons essayé de cerner au fil des notes du Z Band... et qu'elle vient en contrepoint parfait au vivant témoignage de DolphyOO, spectateur d'un concert de Mingus en 1964.

Extrait d'interview de Jazz mag de 1964 :


- Charles Mingus, un certain nombre de critiques américains paraissent nourrir à votre égard une hostilité de principe. Croyez-vous que celle-ci soit fondée uniquement sur des critères musicaux ou bien ne résulterait-elle pas plutôt de la virulence de vos prises de position sociales et politiques ?


- En réalité, je n’en ai aucune idée. Peut-être ne m’aimez-vous pas non plus. Les critiques ne peuvent supporter qu’un Noir leur parle ou se comporte comme le ferait un Blanc. Cela n’est d’ailleurs pas seulement vrai pour le domaine de la musique. Le même genre de problème se pose à moi presque continuellement dans ma vie de tous les jours. Dernièrement, je suis entré dans un magasin de Copenhague pour acheter une chemise. Le directeur de la tournée nous avait quittés un instant. J’ai demandé au vendeur de me présenter ce qu’il avait de meilleur. J’ai fait mon choix. J’ai payé puis, après avoir attendu un moment sans résultat, je me suis décidé à réclamer ma monnaie. C’est alors qu’on a refusé de me donner ce qui m’était dû. C’est scandaleux ! Les Blancs sont traités différemment. Quand ma femme, qui est blanche, va dans un magasin, il n’arrive jamais qu’on refuse de lui rendre sa monnaie. Moi, je me suis fait voler. J'ai payé 10 dollars une chemise qui n'en valait que 5 et, par-dessus le marché, je ne suis pas parvenu à récupérer mon argent. Il paraît que le vendeur n’a pas apprécié la manière dont j’ai formulé ma réclamation. Mais l'histoire ne s’arrête pas là. Comme je menaçais de faire appel à la police, c’est lui qui le premier l’a fait venir. Un flic s’est présenté presque aussitôt. Il ne m’a pas adressé la parole, n’a même pas cherché à savoir de quel côté était la vérité. J’étais noir, donc j’avais tort. Je ne sais pas si en France les policiers sont plus aimables, mais ceux que j'ai rencontrés jusqu’ici en Europe n’étaient pas particulièrement bien intentionnés. Celui dont je vous parle m’est tombé dessus à bras raccourcis et m’a tellement abîmé l’épaule que j’ai été obligé de me faire soigner à l’hôpital et n’ai pas été en état de jouer ce soir-là. C’est insensé !


- ...Croyez-vous que cet incident est arrivé à cause de la couleur de votre peau ?


- Mais bien sûr ! Je pourrais vous raconter bien d’autres anecdotes comparables à celle-ci. Même vos chauffeurs de taxi ne cachent pas leurs préjugés raciaux. Hier, à mon arrivée, ils ralentissaient quand je leur faisais signe; mais, dès qu’ils s’apercevaient que j’ai le teint sombre, ils redémarraient aussitôt pour aller prendre le Blanc le plus proche.

mingus_1964


- Votre opinion est en contradiction avec celle de la plupart des jazzmen que nous avons eu l’occasion d'interviewer. Pour eux, le racisme en Europe est loin d’être absent mais il n’est jamais systématique.



- De qui vous moquez-vous? Personne ne peut comprendre cet état de choses s’il n’est pas noir. Voulez-vous encore un exemple ? Hier soir, quand je suis entré dans cet hôtel, la réceptionniste m’a traité comme si j’étais le dernier des chiens. J’ai bien saisi son manège bien qu’elle ne parlât pas un mot d’anglais. Elle a discuté un instant avec le chauffeur et, rien qu’à son comportement, j’ai tout de suite compris ses sentiments à mon égard. Pour percevoir la haine, il n’est pas indispensable de savoir ce que les gens disent. L’hostilité se reconnaît souvent simplement au son de la voix. L’amour, la haine, cela s’exprime d’abord par des sonorités, des inflexions de voix, non des paroles. Vous, je ne vous déteste pas. Ce que je déplore, c’est cette situation dans laquelle je me débats. Je n’ai pas envie de parler. Pourquoi tenez-vous tellement à discuter avec moi ?


- Sans doute parce que nous pensons que cette conversation peut nous aider à comprendre certains aspects de votre musique.



- Pour moi, ce genre d’interview ne présente aucun intérêt. Aux Etats-Unis, il a été écrit sur moi plus d’articles que sur n’importe quel autre musicien; il n’empêche que je gagne moins d’argent que la plupart de mes confrères. George Wein est le premier manager qui soit parvenu à mettre sur pied une tournée européenne pour mon orchestre. Mais cette tournée a été mal organisée. Il a tellement rapproché les concerts qu’il a failli tuer mon trompettiste. J’ai dormi quatre heures en cinq jours. Je n’ai pas fait un véritable repas depuis trois jours. J’ai mangé un steak en cinq minutes à l’aéroport de Copenhague mais j’ai dû le laisser tellement il était mauvais. Wein, lui, a le temps de manger. D’ailleurs, il n’assiste même pas à nos concerts. Il préfère se balader avec une fille. Pour lui, la tournée est une partie de plaisir. Si on le forçait à adopter notre rythme de vie actuel, il n’accepterait jamais d’engager, dans de telles conditions, l’orchestre qu’il lui arrive de diriger. Aucun être humain ne peut faire du bon travail quand il ne dispose pas d’un minimum de temps pour récupérer de ses fatigues. Ne venez pas ensuite me demander ce qui est arrivé à mon trompettiste.

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Commentaires
L
Faut être américain pour penser une chose pareille :-))
R
Quel râleur ce Mingus!<br /> Quoi, les flics français, le chauffeurs de taxis français seraient un peu xénophobes?<br /> Calomnie!! :-)
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